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A me Zia Anghjula-Maria !
Tata Anghjula Maria était la plus grande des sœurs de mon papa, Noël Poli.Ils ont vécu la majeure partie de leur vie à Guagno.Une vie rude..d'autant qu'ils avaient perdu leur maman très jeune !Leur bergerie se trouvait sous le Mont Tritorre.Au lieu dit "U VULTOGHJU".Tata s'est mariée et s'est ensuite installée à Orto avec son mari, tonton Dumicu Maria Leca......(Mais vous aurez une grande partie de "son" histoire dans une de ses chansons,ci-dessous !)Dans ma famille (Di I Nesci), il y avait de belles voix !j'aurais bien aimé, et ce malgré les difficultés de la vie d'alors, vivre en ce temps là..Ils avaient peu..mais partageaient tout !et toutes les occasions de chanter étaient les bienvenues..pour "adoucir" cette vie rude !Nous avons le bonheur d'avoir quelques traces de ces voix !Outre le reportage du magazine Ghjenti de P.Filippi et M.P Valli de Via Stella, nous avons ces traces du passéSur un 33 tours de F Quilicci qui parcourait la Corse pour enregistrer des chansons et lors d'un reportage audio de N.Casalonga.Voici, le reportage de N.Casalonga
1910, Anghjula Maria était née avec le siècle.Elle pratiquait son métier de bergère sur un vaste territoire entre la plaine du Liamone et le lac de Crena où elle se rendait avec famille et bêtes pour l’estive. Improvisatrice comme le sont souvent les hommes et femmes de la vie pastorale, Anghjula Maria n’a jamais chanté ni n’aimait chanter de voceru. Elle célébrait les circonstances heureuses de la vie. Madame Bonifacj sa fille, me disait récemment pour confirmer la prédilection de sa mère à célébrer la vie : « vous savez, era savia donna » : « elle était sage femme et d’ajouter : « maman disait « Ziteddi quantu n’aghju coltu » des enfants combien en ai-je cueilli. Elle les cueillait comme les fleurs de la vie.
En guise d’accueil, Anghjula Maria Leca improvise. Elle se situe ainsi dans son espace, dans son territoire, dans sa lignée indiquant son appartenance à la caste des poètes improvisateurs, ses ascendants.
Elle chante ensuite sur l’air de la Rustaghja, A Pisticcina qui décline les mets que l’on mange traditionnellement. A pulenta, a pisticcina, u caprettu, i fasgioli.
Vient ensuite, l’improvisation qu’elle avait dédiée à son fils Santu pour son mariage. C’est le récit de sa vie de femme et de bergère accomplissant sa destinée sur le territoire duquel elle participe avec sa famille et ses bêtes. Dans ce « micro cosmos » entre plaine et montagne, arpenté, scruté à longueur de jour, dont elle nomme les lieux avec la connaissance respectueuse de ceux qui le pratiquent quotidiennement et en vivent. Soucieuse de la lignée, elle clôture son improvisation en assignant à ses enfants la tâche à accomplir, celle de relever près du cerisier, la petite maison du lac de Creno, où elle passa « ses jours les plus beaux ». Et termine en leur offrant « comme un livre ouvert » son cœur de mère aimante et vénérée.
Elle justifie l’oubli d’un couplet par son grand âge. Elle aura au mois de février 80 ans et son époux en a 88 ans. Elle donne le nombre de ses enfants et petits-enfants : 7 enfants, 21 petits-enfants et 5 arrières petits-enfants. Avec sa famille, elle peut peupler le village d’Ortu.
Elle évoque ensuite la transhumance et le travail de son beau-père qui parcourait les villages alentours pour vendre le fromage. Elle donne des indications sur la valeur des denrées à l’époque et sur le troc. Il échangeait 3 kilos de fromage pour 1 litre d’huile. 1 kilo de fromage pour 2 kilos de farine de châtaigne. 1 cabri pour un morceau d’étoffe. Elle ne se rappelle plus la valeur du quintal de blé.
Elle n’est jamais allée à la messe parce qu’elle n’en avait pas le temps.
Elle chante enfin A ghjallinella dont elle donne la signification à la fin de l’entretien. Il s’agit d’une complainte métaphorique qu’un jeune-homme partant pour trois ans au service militaire adresse à sa fiancée laissée au village.
Sa fille, madame Bonifacj me disait récemment que cette chanson avait été transmise à sa mère par le dernier chanteur de Muna, surnommé U castratu. Il faut également souligner que ce chant avait été enregistré par Félix Quilici en 1960 et gravé sur un des quatre disques du coffret édité par la BNF paru en 1980.
Suivent des strophes (i tarzinelli) qu’elle a improvisées en différentes circonstances. Elle exhorte ses enfants présents ce jour-là à improviser quelques strophes. Elle raconte comment elle a eu le premier prix en 1955 à la foire du Niolu.
N.Casalonga
Anghjula Maria LECA
enregistrée à Ortu le 26 août 1990.
Improvisation. Accueil, présentation.TranscriptionSete ghjunta da luntanuBoi (voi) à vede sta guagneseAllora vi spiigaraghjuA ceppa di u me paeseÈ parchì u tengu caruNe pligliu e so diffese
Ma u me paese hè GuagnuDi u prete CircinelluChè da mez'à lu TritoreA bocca à ManganelluCunfina cù a furestaDi la punta à u CiarbelluSe bo (vo) ùn mi cunnisciteFighjulate mi à lu crinuSo a figliola di TurcuPufigliola di ZilivrinuÈ po bà (pà) spiigavvi megliuNipote di Pulindinu
Eiu ùn mi vogliu dà vantiIn paese nè in cantoneSortu da i CasgiulelliÈ parenti di FiliconeÀ a fiera di NioluCantavanu le canzone
Traduction
Vous êtes venue de loinVous voir la guagnaiseJe vous dirai doncL'origine de mon villageEt parce qu'il m'est cherJe veux en faire l'élogeMon village est GuagnoCelui aussi de l'Abbé CircinelluSitué entre le Mont TritoreEt le col ManganelloConfinant avec la forêtPar le pic CiarbelluSi vous ne me connaissez pasObservez ma crinièreJe suis la fille de TurcuLa petite fille de ZilivrinuEt pour préciserLa nièce de PulindinuJe ne veux me vanterNi au village ni dans le cantonJe suis de la famille des CasgiulelliEt parente de FiliconeA la foire du NioluIls improvisaient
Anghjula Maria LECAenregistrée à Ortu le 26 août 1990.Canzona pa u matrimoniu di u so figliolu SantuTranscriptionSi bo (vo) vulete ch'e canti, e vi faraghj'un tarzinuDa l'amici è i parenti, di luntanu è di vicinuManghjate duie frittelle, arrusate cù lu vinuA me vita di l'invernu, a vi aghju spiegata primaSta sera vi spiigaraghju, u pocu di l'istatinaU pane si piglia fattu ùn si compra più farinaIn li tempi di a farina, si cumprava la razioneEranu pomi bulliti, è farina di granoneA pulenta castagnina, si faccia tutte le maneMa com'e l'aghju allivati ci vo à falla micca à dillaCullava u pane in capu, a costa d'a CruciarellaU mi varcava di notte, u ghjargalu di l'UndellaCulendu par Funtanone, cantava la malacellaCi vol' à cullà pà u stradone, à sin'à u lavu CrenaCullaraghju à lu piazzale à cunsulà a me penaChi mi sentu sfughje u sangue ne n'aghju par ogni venaAghju fattu quarant'anni ancù le me picurelleQuantu le canuchjalava, l'Arinelle è le FurcelleFalavanu infilarate chì parianu curdelleAvia ancu le me capre chì mai ùn mi scurdaraghjuAndava tutti li ghjorni à la bocca à u PilulaghjuBurtava (vultava) à u primu fiscu u beccu tintinnulaghjuÈ po falavu à Arba Mala, di punta à lu me paeseMa oghje ùn ci falgu più, parch'avà parlu franceseUn ghjornu mi pare un annu, è quill'atru hè un meseDipoi ch'e so cundannata, à sta sempre à lu paeseÈ a sera dopu muntu, accugliva la famigliolaPronta à manghjà la so suppa, tutt'intond'à la paghjolaA cochja era di legnu, u piattu una cazzarolaEiu ùn mi vargognu à dilla, a spiegu com'ella eraA faccia à la paghjola, chì pignata ùn ci n'eraUn pidicone di pinu, in lu muri pà lumeraLettu ùn ci n'era ch'à unu, ma ùn si pagava alloghjuÈ u cantu di l'acelli, era u nostru urilogiuQuand'e pensu à la casetta, mi trema lu cor in pettuEmu arranghjatu la porta, ma avà spianta lu tettuRob'è ghjente và à fine, tuttu sia binadettuN'ùn ci pudemu più ghjunghje, ma cullareti o zitelliÀ rifalli u so tettu, è rinnuvà i cantelliChi l'aghju passati cullane, e i me ghjorni i più belliL'aghju passati cullane, e i me ghjorni i più belliÀ u frescu di la chjirasgia, ùn sintiu ch'à l'acelliÈ in lu fondu di u pianu, ghjucavanu i zitelliS'e sappia leghje è scrive, ch'ùn aghju a vulintàNe vulia fà un libru, pà pudellu li lasciàChì quandu u Signore chjama, ùn si pò micca mancàÈ vi lasciaraghju in manu, e chjave di lu me coreÀ tutti li me figlioli, cù me ghjennari è me noreCh'ellu sia l'unu o l'altru, l'aprarete à tutte l'oreFiniscu la me canzona, cù tutti li me lamentiAghju fattu di lu megliu, ch'è vo fussati cuntentiI ringrazieghj'à tutti, quelli chì sete prisenti.TraductionPuisque vous voulez que je chante, je vous ferai un coupletA vous amis et parents, proches et lointainsPrenez quelques beignets, arrosés de bon vinMa vie d'hiver je vous l'ai déjà contée Ce soir je vous dirai le peu de ma vie d'été Le pain est acheté tout prêt, plus besoin de farine
Lorsqu'on achetait la farine, c'était pour la fournée Pommes de terre bouillies et farine de maïs était notre lot La pulenta de châtaigne se préparait chaque matin
Comme je les ai élevés, c'est à faire et pas à dire Je gravissais, le pain sur la tête, la côte de la Crucciarella Et je franchissais la nuit le ruisseau de l'UndellaPassant par Funtanone où chantait la chouette
Il faut cheminer par la route jusqu'au lac de Crena C'est aux bergeries que je consolerai ma peine Je sens ma vie s'écouler par chacune de mes veines
J'ai vécu quarante ans avec mes petites brebis Combien je les scrutais l'Arinella et les Furcelli Elles en redescendaient déroulant leur file comme une cordelette
J'avais aussi des chèvres, je ne les oublierai jamais J'allais tous les jours au col du Pilulaghju Au premier sifflement revenait le maître bouc sonnaillant
Et puis je descendais à Arba Mala, face à mon village Maintenant je n'y vais plus parce que je parle français Un jour me semble une année et l'autre un moisDepuis que je suis contrainte à rester au village
Et le soir après la traite, j'accueillais la petite famille Prête à manger la soupe, réunie autour du chaudron La louche était de bois, l'assiette une casserole
Je n'ai aucune honte à l'avouer, je dis ce qui est.Je faisais la soupe au chaudron, il n'y avait pas de marmite Et pour seul éclairage une torche de pin fichée dans le mur
Il n'y avait qu'un seul lit, mais on ne payait pas de loyer Et le chant des oiseaux était notre horloge. Quand je pense à la maisonnette, j'en ai le cœur tremblant
Nous avons refait la porte, mais le toit s'effondre Ainsi en va de l'homme et des biens, que ce soit à la grâce de Dieu Nous ne pouvons plus y aller, mais vous monterez mes enfants
Refaire le toit et renouveler les poutres Car je les ai passés là bas mes jours les plus heureux Je les ai passés là bas mes jours les plus heureux
A la fraîcheur du cerisier, on n'entendait que les oiseaux Et tout au fond du plateau s'égayaient les enfants Si je savais lire et écrire, mais en ai-je la volonté ?
Je voudrais écrire un livre pour vous le laisser Car lorsque le seigneur appelle il ne faut pas manquer Je laisserai les clefs de mon cœur entre les mains
De mes enfants, de mes gendres et mes brues Chacun d'entre eux pourra l'ouvrir à tout moment
Je termine ici mon chant et toutes mes complaintes J'ai fait de mon mieux pour que vous soyez contentsEt je vous remercie vous tous qui êtes ici présents
A ghjallinella
Ce chant métaphorique, qui évoque la disparition d'une petite poule,lui avait été transmis par le dernier chanteur poète de Muna.
Transcription
Avia una ghjallinella o si chjamava CulumbellaIn cantone era la sola o nùn ci n'era cum'è ella.
La dumenica da mane ma quand'ella si hè spullataCù l'altre ghjalline in tondu o ma fenduli la parataAncu li ghjalli cantendu o andendu à la pruminata
Andvan'à la pruminata ma ali sparte è cap'arditiOghje sò tutt'in le piazze o codi basse è stramurtiti
La me cresta appinzittata o la me bicchi cristallinaFace l'ovu à dui torli unu per ogni matina
O la me ali frisgiata o la so cresta à pindaloccuEiu l'avia binadetta o cù lu pane di San Roccu
Quella di la me ghjallina o la mi pigliu un pocu pianuGhjera techja ogni matina o cùn trè granelle di granu
Culumbella dammi un basgiu o cù labbre d'amore acceseParchì sò trè anni è più(ne) o chè l'aspettu à bracce stese
TraductionJ'avais une poulette qui s'appelait CulumbellaDans le canton elle était unique, il n'y en avait pas comme elleLe dimanche matin lorsqu'elle s'était envolée du perchoirAvec les autres poules autour, lui faisant la parade,Chantant avec les coqs, elle allait à la promenadeIls allaient à la promenade ailes déployées et têtes fièresAujourd'hui sur les places ils vont tous queue basse et morfondusÔ ma crête aiguisée, ô mon bec cristallinElle pondait des œufs à deux jaunes chaque matinO mon aile festonnée, sa crête en pendeloqueMoi je l'avais bénie avec le pain de Saint RochCe qu'il en est de ma poulette, maintenant je patienteElle était repue chaque matin avec trois grains de blésCulumbella donne moi un baiser de tes lèvres attisées d'amourParce que cela fait trois années et plus que je l'attends bras ouvertsICI le lien pour avoir le son de cette petite comptine===> http://scattamusica.fr/1-Ghjallinella.html
Transcriptions et traductions effectuées par Nicole Casalonga.Document N° :CCV000020EnregistrementLieu de l'enquête :Ortu Année :1990 Date :1990-08-26 Fiche N° :43Enquêteur:Nicole CasalongaInformateur(s) :Anghjula Maria LecaPersonne morale :Voce CumuneLangue(s) :corse et françaisDescription et CommentairesCommentaire sur la langue :Variété dialectale des deux Sorru.Ci-dessous, deux chansons, chantées par tata Anghjula-Maria
Tags : Guagno, Orto, Anghjula Maria, Mathepoli
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Commentaires
ph Marthe, comme je suis contente d'avoir vu ton passage ! est-ce que je peux m'inscrire à une newsletter pour recevoir tes articles au jour le jour ?
Le temps passe si vite, et avoir un clin d'oeil d'amis fait un bien énorme.
Je t'embrasse bien amicalement-
Jeudi 28 Avril 2016 à 11:11
mais bien sûr. La newsletter est faite pour. Oh je suis moins présente que sur corsica..
ça a été dur et j'ai essayé maintes fois à les appeler pour qu'ils réactivent au moins les blogs..mais sans succès..
enfin..j'ai quand même du mal car je dois tout réapprendre..mais enfin..ça me convient quand même.
Oui, j'ai parcouru ton blog. Toujours aussi beau. J'espère, en m'y attelant un peu plus, que je ferai presque aussi bien qu'avant....
Plein de bisous. Courage pour tout.
A bientôt !
Marthe
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3Dominique LecaSamedi 10 Mars 2018 à 20:45Merci pour ce bel article sur mémé.
Bisous Dumè (fille aînée de Santu)-
Dimanche 18 Mars 2018 à 12:42
Ah Ah ! je sais qui tu es petite cousine !
Ils me manquent tous..tout nos "vieux". J'ai l'impression d'être "amputée" depuis qu'ils ne sont plus..Papa, mes tatas tontons...
Et c'est pour ça que je partage ce que je trouve et ce que j'ai..Photos, témoignages..etc !
Bisous à tous et faisons en sorte de nous rappeler d'eux.
Bisous cousinette !
Marthe
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Quel superbe article ! Une documentation riche qui permet de se faire une idée précise de la vie des bergers dans le Cruzzini jusqu'au lac de Creno au dessus de Soccia..L'évocation de la foire du Niolo et des joutes animées des improvisateurs.....Toute une belle époque que j'ai eu la chance de connaitre et de partager.
Je retrouve aussi avec plaisir les surnoms qui permettent de situer immédiatement les personnages .Muna village isolé très longtemps et qui pour moi est une petite merveille.
Enfin sous l'impulsion de Nicole Casalonga une explication claire des conditions de vie ,et puis ces chants anciens, avec le lamente di u Castagnu un incontournable ,interprétés par votre parente d'une voix cristalline.
J'ai beaucoup apprécié cette publication.
Très bonne fin de semaine.
Pardon pour cette réponse tardive mais j'ai eu un tas de choses à faire et du coup..ma réponse est passée.. à la trappe de mon cerveau..
je suis ravie que vous ayez aimé ce petit bout de ce qui fait ma vie: Les souvenirs !
A bientôt !